Quoiqu’il arrive, prenez soin de votre esprit
En décembre 2018, je marchais de Bodh Gaya à Kusinara pour célébrer mon soixantième anniversaire. Les premiers jours avaient été difficiles, mais je trouvai mon rythme. Puis, le premier incident se produisit : je perdis des objets importants de mon sac, notamment mon aiguille et mon fil.
L'après-midi suivant, un personnage plutôt étrange s'approcha de moi, marmonnant, chantant, sautillant et dansant, le tout avec un sourire béat sur le visage. À mesure qu'il se rapprochait, son regard se fixa et tout son corps sursauta. Il tomba à terre, se prosterna et me fit clairement comprendre qu'il me suppliait d'être son gourou. Je pensais avoir géré cette situation délicate avec tact, mais il s'empara de mon sac et insista pour le porter à ma place. Je n’eus pas le choix. Le regarder danser devant moi sur la route, transportant toutes mes possessions, ne fut pas une expérience des plus apaisantes.
Puis, le deuxième incident survint : ma robe, poussiéreuse et fine comme du papier, se déchira. Une entaille d'environ 30 cm, et pas d'aiguille ni de fil pour la raccommoder. Mon nouveau disciple me rassura. Il me montra un village situé à environ deux kilomètres à l'ouest et me fit clairement comprendre ce qu'il voulait dire. Je lui fis signe que ce n'était pas nécessaire, mais il insista. Je lui demandai de laisser mon sac, mais il était déjà parti. Je m'assis sous un arbre et le regardai disparaître.
J'avais fait tout ce que je pouvais : je pris soin de mon esprit. Des pensées telles que « Il va faire très froid cette nuit » et « Comment vas-tu faire la tournée d’aumônes sans bol ? » surgirent, ne furent pas bien accueillies et se dissipèrent. J'attendis, une respiration après l'autre.
Une heure plus tard, mon disciple revint, rayonnant. Il produisit une aiguille et du fil avec grande fierté, et se mit à raccommoder ma robe de manière remarquable. Une fois terminé, il me la tendit avec beaucoup de décorum, se prosterna avec un grand sourire, et s'éloigna en marmonnant, en chantonnant, en sautillant et en dansant vers le soleil couchant. Heureusement pour moi, il m’avait laissé mon sac.
Ajahn Jayasãro
13/12/25